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Il faut “respecter ce qui est montrable et ce qui n’est pas montrable, nous ne sommes pas des Américains”, Moussa Sène Absa, cinéaste

Son film Xale représente le Sénégal à la présélection des Oscars, il a participé à la solidification du milieu cinématographique sénégalais à l’échelle internationale, Moussa Sene Absa renforce le catalogue sénégalais depuis des décennies. À l’occasion de l’ouverture du ‘Seanema’ du Sea Plaza, son dernier long-métrage  »Xale, les blessures de l’enfance » a été projeté en première nationale.

Le cinéaste, qui s’inspire des réalités sénégalaises pour créer ses œuvres, appelle à une production qui prend en compte les us et coutumes du pays. Intelligences magazine s’est entretenu en express avec lui après la projection.

Qui est Moussa Sene Absa?

Je suis un cinéaste sénégalais, je suis peintre, j’écris, je fais mille choses : je suis un éclectique on va dire, je passe du coq à l’âne et je ne me définis pas spécialement comme cinéaste. C’est comme si vous disiez à un oiseau “est-ce qu’il ne fait que voler?”. Un oiseau marche, il saute, il court, parfois il bouge, et parfois il vole mais il ne fait pas que voler.

Quel sentiment vous procure la présélection de Xale aux Oscars ?

Un sentiment de fierté, je trouve que c’est un cadeau du ciel pour un film sénégalais, fait entièrement par des sénégalais avec un co-producteur ivoirien, un film africain à 100%. C’est une consécration pas pour moi, mais pour toute l’équipe sénégalaise et africaine qui a travaillé dessus.

Pourquoi Xale ?

Ce film me parle, comme je dis souvent, je n’ai pas fait le film, le film s’est fait en moi. Ça a mûri, ça s’est développé, j’ai eu des réflexions, j’ai eu des retours, j’ai eu une sensibilité par rapport à cette histoire-là, cette histoire me parle, donc j’ai dit pourquoi pas, je vais raconter cette histoire.

« Il n’y a pas une journée où en lisant les journaux il n’y a pas de viol »

Vous traitez des violences faites aux femmes, qu’est ce qui vous a poussé à travailler sur ces problématiques ?

C’est des problématiques que je trouve dans tous les journaux tous les jours. À chaque fois que tu ouvres les journaux ou que tu lis dans les réseaux sociaux, tu tombes souvent sur ça. Je dis « mais qu’est-ce qui se passe ?”. C’est devenu obsessionnel, il n’y a pas une journée où en lisant les journaux il n’y a pas de viol. C’est quand même grave.

Qu’est-ce qui vous inspire après tant d’années dans ce milieu?

La vie, c’est la vie qui m’inspire. Je n’invente rien, j’observe, je suis un grand observateur, je suis quelqu’un qui regarde beaucoup, j’ai un regard insistant sur les choses, je lis beaucoup. C’est l’un dans l’autre, je me nourris, c’est comme c’est des sédiments qui s’accumulent et puis à un moment donné, une histoire sort. Et comme j’observe beaucoup, je cherche à voir ce qui se passe dans ma société, à quelle vitesse roule ma société et une fois que je réponds à cette question-là, je trouve des sujets.

Votre art a toujours eu cette dimension engagée, sentez-vous ce besoin de participer à la divulgation des sujets de société ?

Je regarde la société comme un albatros. Je regarde d’en haut pour être en bas, pour pouvoir circuler à l’intérieur, mais je veux d’abord un regard comme ça (geste des mains montrant le fait d’être en haut) sur la société, de voir le microcosme de la société et après entrer à l’intérieur et voir maintenant quels sont les détails. Qu’est-ce qui fait que la société fonctionne comme ça et pas comme ça?

« Je ne suis pas un féministe, je suis un humaniste »

Que pensez-vous des combats féministes menés par les femmes sénégalaises ?

Je pense plus à l’humanisme qu’au féminisme. Je crois qu’il faut d’abord être humain. Quand on est humain, ça veut tout dire. Quand on est humain, on sait la valeur de l’homme, on connaît la valeur de la femme, on ne fait pas de distinguo. C’est des êtres humains d’abord qui cohabitent, qui vivent dans une société. On a besoin l’un de l’autre. Je ne suis pas un féministe, je suis humaniste.

Le cinéma des pays africains anglophones est plus développé que celui francophone, à quoi est-ce dû à votre avis?

Le cinéma anglophone est un cinéma qui a un moteur qui est Nollywood. Le Nigeria a une population de centaines de milliers de personnes, il y a un marché énorme, il y a une culture du privé que nous n’avons pas. Au départ, il n’y avait personne pour les aider, ils prenaient leurs caméras, ils allaient raconter leurs problèmes, leurs films de qualité médiocre. Mais au moins les gens aimaient, ils consommaient. Ils ont créé leur industrie en partant de zéro et ça, c’est vraiment extraordinaire. Alors que le système francophone est plus un système de subside où c’est la coopération française, c’est le CNC. On est très dépendant, mais ça commence à changer et le jour où on arrivera à des productions 100% sénégalaises, on aura réussi.

« Ce qu’il y a lieu de faire, c’est éduquer à la production d’idées avec notre propre imaginaire, nos interdits, nos us et coutumes, sans transgresser notre identité »

Les séries sénégalaises sont parfois censurées, quel est votre point de vue sur la situation ?

Je pense que la censure, c’est quelque chose qui n’a plus de sens dans une société hyper connectée. Il y a les réseaux sociaux, il y a YouTube, il y a plein de choses qu’on ne peut plus censurer. Par contre, ce qu’il y a lieu de faire, c’est éduquer à la production d’idées avec notre propre imaginaire, nos interdits, nos us et coutumes, sans transgresser notre identité, rester nous-même, respecter ce qui est montrable et ce qui n’est pas montrable, nous ne sommes pas des Américains.

Pensez-vous que le cinéma africain subit une discrimination à l’échelle internationale ?

Si vous voyez à travers le monde, le nombre de films africains sur les écrans, il n’y en a pas beaucoup, pourtant, il y a beaucoup de films qui se tournent. Mais parce que justement, il y a dans un sens autant de films américains qui viennent chez nous et très peu de films africains qui vont en Amérique.

Les anciens ont posé les bases, diriez-vous que la nouvelle génération est prête à assurer la relève ?

Il y a une nouvelle génération qui existe et qui commence à prendre racine, qui commence à se familiariser avec les outils, à faire de beaux films. Ce que je leur propose, c’est qu’il ne faut pas faire les mêmes films, il faut qu’ils inventent quelque chose, il faut qu’ils m’étonnent.

Quel conseil leur donneriez-vous ?

Il faut qu’ils soient eux-mêmes, il ne faut pas faire du cinéma “Comme”. Il faut qu’ils fassent du cinéma comme eux-mêmes, que leur cinéma leur ressemble, que ça soit leur ADN parce que la copie ne sera jamais meilleure que l’original, donc il faut qu’ils soient originaux.

Un dernier mot pour ces jeunes qui souhaitent se lancer?

Courage, persévérance, qu’ils se cultivent, il faut qu’ils lisent. Je dis souvent “lisez”. Les jeunes ne lisent plus, c’est quand ils vont beaucoup lire qu’ils vont faire la différence. Ils ou elles, parce que je pense que les femmes ont beaucoup de choses à apporter dans ce milieu.

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