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“Gingembre littéraire” : « Redonner à l’Afrique et aux Africains leur voix dans le concert de l’Humanité » (Gorgui Wade Ndoye)

Journaliste accrédité auprès des Nations Unies, à Genève, El Hadji Gorgui Wade Ndoye organise depuis plus de 4 ans le “Gingembre Littéraire”. Une initiative autour de grandes réflexions sur la place de l’Afrique dans le monde. Pour cette 4ème édition, le Gingembre porte sur la thématique « Médias et Cohésion Sociale » et va se dérouler à Dakar, Saint-Louis et Rufisque, les 1, 2, 3 et 8 décembre prochains. D’éminentes personnalités de secteurs divers notamment des médias, des universités, de la magistrature, de la société civile y prendront part.

Le journaliste a répondu aux questions d’Intelligences Magazine. Entretien

Pouvez-vous revenir sur l’esprit du “Gingembre littéraire” ?

L’esprit du Gingembre littéraire, c’est d’offrir justement aux Africains et au reste du monde la possibilité, dans un espace public ouvert, de discuter des questions africaines et mondiales en toute liberté et en toute conscience. Nous avons des scientifiques, des politiques, des économistes, des écrivains, des gens de partout, qui convergent pour venir discuter avec nous. L’initiative est née à Genève, mais il était important de délocaliser nos activités en Afrique notamment au Sénégal, car il s’agit bien encore une fois d’écouter et de redonner à l’Afrique et aux Africains leur voix dans le concert de l’Humanité. C’est aux Africains d’avoir leur propre discours sur eux-mêmes. Notre discours, notre Logos, c’est à nous de le maîtriser. Notre image, c’est à nous de la maîtriser, la production de nos informations, c’est à nous de la maîtriser.

Après trois éditions, quel bilan tirez-vous de ce rendez-vous annuel ?

Nous sommes très heureux. Pour l’édition de cette année, c’est autour des médias : le rôle des médias dans la cohésion sociale. L’année dernière, nous avions parlé du dialogue des cultures et des religions, avant nous avions parlé de la Casamance, terre de culture, et puis la première édition, nous avons beaucoup plus insisté sur la citoyenneté, en donnant aussi une grande part de réflexion aux femmes et ça, c’est important. L’un des plus grands défis de notre continent, c’est la place des femmes. L’Afrique comme le reste de l’humanité ne s’en sortira pas si les femmes sont marginalisées, si les femmes sont violentées, si les femmes sont considérées comme des sous-hommes. Il faut que cette humanité qui a donné toute l’humanité dans sa grandeur, qu’on la respecte. Respecter une femme, ce n’est pas venir dire “bonjour chéri, je t’aime” mais c’est de savoir que les femmes sont des compagnes de nos vies, des compagnes d’intelligence, des compagnes qui nous permettent ensemble de pouvoir redéfinir notre humanité pour aujourd’hui, hier et pour demain.

Cette année, Le Gingembre s’intéresse aux médias et aux journalistes à l’ère du numérique et à la liberté d’expression, pourquoi ce sujet de réflexion ?

L’actualité, en tout cas au Sénégal, nous donne raison avec l’incarcération du journaliste Pape Alé Niang. Notre thématique a été décidée depuis l’année dernière, sur la base d’un constat préoccupant ! Vous me permettrez de saisir l’opportunité que vous m’offrez pour demander à ce qu’on libère ce journaliste-là. Je ne suis souvent pas d’accord avec certaines attitudes de journalistes dans nos pays, mais ce n’est jamais bon d’emprisonner un journaliste dans le cadre de son travail. Il y a une responsabilité à assumer. Des États, des hommes politiques qui gardent toutes les informations empêchant aux journalistes d’y accéder, ne favorisent pas la transparence. Quand on n’implique pas, quand on n’informe pas la presse correctement, il est difficile de vouloir en faire une presse nationaliste pour ne pas dire patriotique. On en arrive alors à des dérives de part et d’autre. Il faudrait plus faire appel aux organisations de presse en cas de conflit. Il aurait été beaucoup plus simple de parler avec des organisations telles que le Synpics (Syndicat des Professionnels de l’information et de la communication du Sénégal), le Cored (Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias) et tant d’autres, au lieu de prendre un journaliste et de le mettre en prison parce que ça donne une mauvaise image de notre pays. D’aucuns pourraient penser que nous ne sommes pas un pays démocratique, qu’on ne respecte pas les droits de la presse, ce qui est absolument faux. Ce sont des choses qui arrivent dans la vie, mais des accidents pareils doivent être évités, et quand ça arrive qu’on les traite avec intelligence de part et d’autre.

« On ne peut pas, parce qu’on a un média, se permettre de tout dire. La liberté d’expression est là, mais elle est encadrée »

On ne peut pas, parce qu’on a un média, se permettre de tout dire. La liberté d’expression est là, mais elle est encadrée. Il y a des moments où, au-delà de l’intérêt à publier, nous devons regarder à un niveau supérieur, surtout quand il s’agit de la cohésion sociale de notre nation, du secret-défense, etc. Par exemple, notre armée nationale, nous devons faire beaucoup attention quand on s’y intéresse. Nous savons ce qui se passe au sud du Sénégal, même si aujourd’hui avec l’aide de Dieu, la volonté des populations Casamançaises et les efforts des différents gouvernements, la situation s’est beaucoup stabilisée. Nous devons aussi être très vigilants, avec les enjeux liés à l’exploitation du gaz, du pétrole, etc. Beaucoup de pays, beaucoup d’acteurs économiques seront contents de voir le Sénégal se déstabiliser pour venir pomper notre pétrole et notre gaz gratuitement. S’y ajoute la ceinture de feu que constitue le terrorisme au Sahel ! Soyons vigilants, nous avons le devoir d’être vigilants, c’est un devoir aussi pour un journaliste d’être responsable. La formation des journalistes et l’éducation aux médias sont plus qu’importantes. Les populations doivent savoir ce qu’est un média. Qu’on leur dise que le portable peut aussi être une arme fatale. Il faut savoir ce que l’on dit, et surtout dans un pays comme le nôtre où la parole a un sens. Ce que l’on dit chez nous a une portée, ce que l’on écrit, a un sens. C’est dire que la liberté, sans la conscience, sans la responsabilité, peut-être une arme de destruction massive.

Quelles sont, selon vous, les pistes de solution à envisager pour la presse sénégalaise ?

Il faut que les journalistes se réconcilient avec le journalisme, parce que le journalisme est un métier puissant, c’est un métier très noble. Aujourd’hui plus que jamais je le dis : c’est une arme l’information ! Et si nous ne faisons pas attention, nous avons vu ce qui s’est passé en 1994 au Rwanda avec le génocide des Tutsis. On a vu des journalistes participer à brûler leur pays, on a vu ce qui s’est passé en 2000, avec la crise post-électorale en Côte d’Ivoire. C’est pourquoi d’ailleurs, nous avons fait venir des journalistes de ces pays-là pour pouvoir témoigner de leurs expériences. Les Sénégalais sauront que les journalistes doivent être libres, mais qu’aussi les journalistes ont une liberté qui est encadrée par le code de la presse. La liberté d’expression est encadrée aussi par la législation. La presse n’est pas au-dessus des lois de la République, par ailleurs, nous ne sommes pas non plus indemnes de reproches. Il faudrait que nous ayons le courage de nous regarder nous aussi les yeux dans les yeux pour travailler plus librement.

« Le fait qu’au Sénégal, au XXIe siècle qu’on puisse emprisonner un journaliste, c’est un recul »

Un travail est donc à faire au niveau de l’encadrement juridique, parce que le fait qu’au Sénégal, au XXIe siècle qu’on puisse emprisonner un journaliste, c’est un recul. Il faudrait que le code de la presse soit dépoussiéré pour dépénaliser les délits de presse. On peut sanctionner lourdement autrement, mais pas emprisonner. Nous aurons d’ailleurs, à La Place du Souvenir Africain, à Dakar, un panel où sera présent un magistrat qui a présidé le comité scientifique sur le Code de la presse. Un vrai honneur de le recevoir ! Ce sera une belle occasion d’échanges que nous offrons aux journalistes et aux populations. Les journalistes ont un rôle important à jouer dans la consolidation de notre démocratie et le développement de nos pays. Nos leaders politiques ont le devoir de respecter les médias. Quand on pense que les journalistes sont des emmerdeurs, on ne leur donne pas les informations nécessaires et finalement, on pousse des journalistes à faire du banditisme intellectuel. L’accès à l’information est un droit humain, c’est dans la constitution du Sénégal, c’est aussi dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Je l’ai dit tantôt, il nous faut pour cela arriver à avoir une presse nationaliste, il faudrait que le leadership africain soit un vrai leadership. Quand des gens veulent corrompre des journalistes, ça pose problème, alors que les journalistes ont aujourd’hui un rôle à jouer pour accompagner les populations africaines dans le développement, dans le progrès.

Je reste très confiant cependant pour l’avenir de la presse sénégalaise parce que nous avons des jeunes bien formés, mais il faut les encadrer, il faut leur donner les moyens d’exister parce qu’on n’a pas aujourd’hui à rougir ou à noircir devant qui que ce soit. On est journaliste au Sénégal, on l’est en Suisse, on l’est aux États-Unis, il n’y a pas 1000 manières d’être journaliste. J’ai confiance à ce Sénégal éternel, je sais que notre vivre-ensemble, qui est, jour après jour, très menacé, va résister, car ce pays est assis sur des choses très puissantes. Ce ne sont pas des accidents de passage qui vont bouleverser ce pays, mais restons quand même très vigilants.

À l’échelle internationale, comment penser l’élaboration d’une nouvelle réalité africaine à travers la culture par exemple ?

Je ne suis pas un défenseur d’une culture qu’on va uniquement chercher trop loin parce que la culture aussi est élastique, nous sommes des êtres humains et les êtres humains sont évolutifs, donc nous avons un passé que nous devons connaître, nous avons un présent et un futur à construire. Ce que nous sommes en train de faire, à cet instant même, fait partie de notre culture. Donc il n’y a pas une culture figée. Une culture figée, c’est des populations figées, amorphes, et ça n’a pas d’avenir, mais savoir qu’il y a une manière de parler, d’être, de s’habiller, d’être en société. Cela permet de s’affirmer et quand on s’affirme, on va respecter les autres parce qu’eux aussi, ils s’affirment dans ce qu’ils sont. Je pense que la culture permet tout simplement de se reconnaître et quand on se reconnaît, on peut aussi forcément reconnaître ce que les autres sont. L’important, c’est de se reconnaître, de se rencontrer, et d’aller vers le point commun. Le tronc commun, c’est l’humain, l’humain, le retour à l’humain partout. 

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