A la une L'Entretien de la semaine

« Il ne faut pas l’équité des genres, il faut l’égalité », Dr Fatou Sow, Sociologue

À l’instar de la communauté internationale, le Sénégal a clôturé les 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes et aux filles ce samedi 10 décembre. À travers des actions et des rencontres comme le colloque « Re-penser ensemble », des spécialistes de la question se sont réunis pour aborder la question des violences basées sur le genre. Le Dr Fatou Sow, Sociologue et enseignante chercheuse à la retraite y a participé.

Nous l’avons rencontré à la suite d’une plénière. Entretien avec celle qui est considérée comme la mère du féminisme au Sénégal

Vous participez à ce colloque qui clôture les 16 jours d’activisme contre les violences basées sur les genre, quel bilan en tirez-vous ?

Le colloque d’aujourd’hui n’était pas seulement un colloque sur les femmes, c’est un discours beaucoup plus large qui est sous le thème « Re-penser ensemble ». C’est une discussion beaucoup plus large sur des questions sociales et politiques actuelles. Bien sûr, il y a un point particulier sur les femmes et moi le point particulier que j’ai discuté c’est le féminisme. Est-ce que le féminisme est un moyen, un outil scientifique qui permet de comprendre la question des femmes ? Je dis que oui, le féminisme est au fond, une conception scientifique qui permet d’analyser le rôle social des sexes et qui permet d’analyser la différence entre les hommes et les femmes et les rapports de domination qui existent.

« Être féministe, c’est se battre pour le droit des femmes, c’est reconnaître les inégalités entre les sexes, se battre contre l’oppression, se battre pour la liberté des femmes se battre pour la reconnaissance de ce qu’elles font et de qui elles sont »

Quelle est donc votre définition du féminisme ?

Le féminisme est une théorie de réflexion et d’action de libération des femmes et de reconnaissance de leurs droits et de leurs libertés. Si je prends une définition globale, être féministe, c’est se battre pour le droit des femmes, c’est reconnaître les inégalités entre les sexes, se battre contre l’oppression, se battre pour la liberté des femmes se battre pour la reconnaissance de ce qu’elles font et de qui elles sont.

Au Sénégal, il y a une relation particulière qui existe entre la société et les pratiques culturelles qui redéfinissent les rapports de genre, est-il nécessaire de repenser la société sénégalaise sous cet angle-là ?

Elle n’a jamais eu autant besoin. La société sénégalaise n’a jamais été aussi réactionnaire, aussi fondamentaliste qu’aujourd’hui. On a eu une montée du fondamentalisme musulman, mais aussi un fondamentalisme chrétien qui au fond essaie de remettre les femmes à une place. Et aujourd’hui on est face à une société qui nie tous les progrès civiques et politiques qui ont été faits par les femmes et qui revient a littéralement légaliser l’inégalité entre les sexes, et ça, c’est dangereux. On n’a jamais eu autant de discussions qui justifient brutalement la violence sur les femmes, qui entérinent la division sexuelle et sociale dans notre pays. On n’a jamais eu autant besoin de reprendre ses questions.

« Le féminisme est défini comme une attitude occidentale que les Africains ne devraient pas adopter alors que ça permet aux femmes de défendre leurs droits et de dénoncer le patriarcat. »

Les gens ont tendance à mettre le féminisme dans une case et à opposer les hommes aux femmes, cette façon de penser freine-t-elle le combat ?

Je pense que c’est une caricature du féminisme. Le féminisme, c’est effectivement une dénonciation de l’inégalité entre les sexes. Les féministes se sont rendu compte de la situation de minorité, d’infériorité des femmes et les inégalités qu’elles subissent sont des inégalités qui affectent leurs statuts, leurs conditions, leurs actions. Aujourd’hui, le féminisme est défini comme une attitude occidentale que les Africains ne devraient pas adopter alors que ça permet aux femmes de défendre leurs droits et de dénoncer le patriarcat. On nous dit souvent que les sociétés africaines étaient matriarcales, que les femmes étaient respectées, qu’il y avait un ordre masculin et un ordre de la mère dominante, mais ça, il faut le réanalyser. Est-ce que le matriarcat a donné du pouvoir aux femmes ? À mon avis dans le matriarcat dont on parle, ce qui est important, ce n’est pas tant la femme, mais sa fonction de reproduction.

« Les violences sont multiples. Elles sont physiques, elles sont dans le discours, elles sont morales et idéologiques. »

Au Sénégal, les cas de violences physiques sont les plus évoquées, qu’en est-il des autres formes de violences?

Les violences sont multiples. Elles sont physiques, elles sont dans le discours, elles sont morales et idéologiques. C’est-à-dire que là où on pensait qu’avec la décennie mondiale des femmes, avec toutes les conférences, avec la plate-forme des droits des femmes de Beijing; là où on pensait que ça allait nous préserver et allait faire avancer nos droits, les droits que nous avons acquis ne sont plus que des droits sur le papier parce qu’on a un discours ambiant fondamentaliste de recul profond des droits des femmes. Il y a une violence culturelle à l’encontre des femmes qui est terrible.

Est-ce que vous imaginez que dans une Assemblée nationale ou la loi sur la parité a permis que l’on arrive à 44 % de femmes, comment peut-on avoir un député qui se lève et qui gifle une femme députée ? Quel est le signal que ça envoie ? Quel est le signal face à ces progrès juridiques que l’on a et ce qui se passe vraiment sur le terrain ? C’est ça la contradiction, on a vraiment un problème entre la fabrication des lois et l’application de ces lois.

Il y a eu beaucoup de cas de féminicides ces dernières années, diriez-vous que c’est un recul par rapport à tout ce qui a été fait ?

Ce qui arrive aujourd’hui, c’est que les violences sont dénoncées alors qu’avant elles étaient tue. Les femmes portent plainte contre le viol contre les violences conjugales contre toute sorte de violence. Aujourd’hui quand même, les gens vont au tribunal alors que ce n’était pas le cas avant. Et ça, c’est la parole des femmes qui a aider à libérer celle des autres.

A ce propos, le ministère de la femme a lancé la ligne 116 qui permet de dénoncer les cas de violences le 25 novembre dernier, qu’elle analyse faites-vous de cette action ?

Vous vous rendez compte après 60 ans d’indépendance, on a un ministère de la femme qui existe depuis 1976, c’est seulement 46 ans plus tard qu’on a une ligne pour dénoncer cette violence : je crois que c’est terrible. Ça permet de libérer la parole encore plus, c’est évident, mais ce que j’aimerais surtout, c’est que ça permette de ralentir les violences à l’encontre des femmes, c’est-à-dire que les gens aient peur de la loi, de la justice.

« Si on a une parité à l’Assemblée nationale, c’est seulement une parité de façade. »

Il y a eu beaucoup de progrès au niveau national et international, mais par où commencer pour l’équité des Genres ?

Il ne faut pas l’équité des genres, il faut l’égalité. L’équité ne peut pas être un objectif. C’est quand on n’ arrive pas à réaliser l’égalité qu’on se tourne vers l’équité. Mais l’équité, moi, je n’en veux pas. Il faut des droits acquis pour permettre l’égalité aux femmes qui ne peuvent pas être dans les conditions d’arriver à certains stades par l’équité . Mais l’équité ce n’est pas un objectif, c’est l’égalité qui est l’objectif ultime.

On a encore beaucoup de choses à faire. Ce qui m’affecte le plus c’est qu’il y a eu des progrès qui ont été faits ces 30 dernières années et que le fondamentalisme religieux et culturel fait reculer ces droits. On a encore beaucoup de travail à faire, et à chaque fois qu’on a fait un pas en avant, on en fait deux en arrière sans s’en rendre compte. Aujourd’hui, on aurait pu penser que l’égalité entre les sexes ou même la parité à l’Assemblée nationale ne devrait plus être discuté. Or, si on a une parité à l’Assemblée nationale, c’est seulement une parité de façade. C’est difficile, donc on a besoin de se battre pour conserver les acquis et se battre pour aller plus loin.

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