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Risques de persistance des tensions politiques : plaidoirie du secteur privé (Par Pierre Atepa Goudiaby)

Le Sénégal est traversé, depuis quelques temps, par un cycle de violences qui a donné lieu à des morts et une montée d’une peur chez les populations durement affectées dans leur vie quotidienne et dans leurs biens. Sur le plan économique, les incertitudes quant à l’évolution de la situation sociopolitique se sont traduites par des reports, voire des annulations de rendez-vous importants. Des investisseurs nationaux et étrangers observent une position attentiste espérant une dissipation des nuages de troubles dans le ciel sénégalais pour réaliser leur projet.

Ce climat préjudiciable à la stabilité nationale et à la conduite des activités économiques, interpelle l’ensemble des forces vices de la nation. En particulier, il pose, pour le secteur privé, le défi de promouvoir des voies alternatives pour le règlement du litige. Parmi les voies identifiables, figure le renoncement du Ministre Niang a un recours en appel.

A cet égard, sans considération du verdict prononcé le 29 mars 2023, les populations du Sénégal et leurs partenaires ont dû légitimement se réjouir de la tenue du procès qui devrait permettre de fermer ce douloureux épisode pour l’économie dans son ensemble et la sphère productive en particulier.

Hélas, dès le lendemain du jugement, la décision annoncée par le plaignant d’interjeter appel du verdict et de faire saisir la maison de l’accusé laisse apparaitre la probabilité de la persistance des tensions.

Cette option du Ministre Mame MBaye Niang, au-delà de sa légalité supposée, pourrait donner lieu à un prolongement du cycle de violences que les sénégalais espéraient voire se fermer à la faveur de la tenue du procès. En décidant d’organiser une « deuxième mi-temps », selon sa propre expression, le Ministre expose incidemment le Sénégal tout entier à des turbulences qui pourraient se traduire par un lourd préjudice pour l’économie déjà fortement affectée par les effets de la Covid-19, de la guerre en Ukraine et de la « première mi-temps ».

En effet, la perspective d’une durée plus longue que prévue des tensions induirait une accentuation de la défiance des investisseurs vis-à-vis du Sénégal. Il convient de souligner que durant la proche période, le pays a prévu d’abriter d’importantes activités à forts enjeux économiques et sociaux tels que :

  • l’ouverture de la campagne agricole, nécessitant un financement de 70 milliards de FCFA qui requiert la mobilisation des partenaires publics et privés, dans un contexte de pari pour le développement de l’offre alimentaire de souveraineté. Cette campagne, par sa dimension spéciale, devrait constituer un levier pour attraire des acteurs privés déjà identifiés dans l’emblavement de surfaces de la vallée du Fleuve ;
  • l’organisation à Dakar de rencontres économiques phares d’investisseurs dans le cadre de la réalisation de projets porteurs de croissance et d’emplois. Il s’agit en particulier des manifestations telles que :

✓ la visite au Sénégal du 21 au 25 mai 2023 de la princesse Astrid de Belgique accompagnée de plusieurs dizaines d’opérateurs économiques de son pays ;

✓ le premier sommet international Africa Mith consacré à l’innovation technologique, l’entreprenariat des jeunes ainsi que les industries créatives restées insuffisamment valorisées au Sénégal ;

✓ le forum mondial de l’économie sociale et solidaire du 1er au 6 mai 2023 prévue pour la première fois en Afrique, devant réunir des élus et dirigeants du monde entier pour favoriser les échanges pour promouvoir une économie centrée sur l’humain et le respect de l’environnement ;

✓ le forum “Invest In Sénégal” prévu du 6 au 8 juillet 2023 ayant pour objet de présenter les facteurs d’attractivité du Sénégal pour susciter l’intérêt des investisseurs et relever le défi de la souveraineté, en ligne avec les orientations du PSE.

Tous ces évènements présentent de bonnes retombées géopolitiques et économiques, notamment en ce qui concerne le redressement du tourisme rendu convalescent par la Covid-19. Toutefois, leur organisation pourrait être remise en question si les troubles devaient persister, sous l’effet d’un nouveau procès.

Des participants pourraient renoncer à leurs voyages, induisant des manque-à-gagner, voire de pertes pour l’économie nationale, notamment en termes d’investissement et de partenariats. Déjà, les recommandations de prudence adressées aux ressortissants étrangers constituent des facteurs de dégradation probable de la notation du Sénégal et donc une source de prime de risque pour le paiement de la dette, tandis que les carnets de commande des hôtels pourraient se rétrécir. Le match a déjà fait trop de dommages que constituent les morts enregistrées, les blessures du secteur privé et les autres effets sectoriels difficilement identifiables.

Pour toutes ces raisons, sans négliger l’honorabilité du plaignant, il est apparu utile d’inviter Monsieur NIANG à renoncer à son appel, en considérant les pertes déjà enregistrées par la société dans son ensemble, y compris l’économie et celles qui seraient induites par un nouvel épisode de tensions sociales. Il est tenu de comparer ces pertes à son honneur, qui du reste, est déjà rendu sauf par le verdict de la première instance. Il lui revient de faire preuve de sacrifice, en prenant en compte l’image fortement chahutée du Sénégal dans les chroniques internationales. Il est invité à mesurer les coûts d’opportunité économiques et l’exigence de dépassement qui sied à la fonction ministérielle investie des missions de promouvoir le bonheur de ses concitoyens.

Il donnerait ainsi le coup d’envoi d’un autre match plus utile portant sur le défi de mobiliser les acteurs pour des projets de souveraineté économique. Il éviterait d’abimer les progrès significatifs engrangés dans la construction d’une stabilité sociale qui constitue la marque de référence universelle du Sénégal. La restauration de la trajectoire de croissance d’avant Covid-19 enregistrée durant la première phase du PSE est tributaire d’un climat de stabilité. Si les économies subissent généralement des chocs dont ils ne maitrisent pas l’origine (calamités naturelles, conflits extérieurs, inflation importée, etc.), un Ministre de la République doit pouvoir, au prix sa personne, éviter d’entretenir des sources vulnérabilité pour son pays. C’est la rançon de la charge publique.

Monsieur Mame MBaye Niang tient le sifflet pour sonner la fin de ce match, en renonçant à son appel. Pour leur part, Monsieur Ousmane SONKO et ses sympathisants devront faire écho au signal d’apaisement lancé par la partie civile.

Enfin, l’exigence de dépassement, qui apparait sous forme d’ironie du sort, est liée au fait que le secteur du tourisme, que le Ministre Niang a la mission de développer, pourrait être la première victime du maintien du cycle de violence.

Pierre Atepa Goudiaby

Président du Club des Investisseurs Sénégalais

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