A la une Sport

« Le sport, aujourd’hui, est devenu aussi important que le pétrole » Pr Abdoulaye Sakho, Spécialiste en droit et économie du Sport

Le Professeur Abdoulaye est un spécialiste en droit économique et tout ce qui touche à l’aspect économique du sport en particulier, en plus d’être un fan de football. A l’approche de la coupe du monde et avec un statut de champion d’Afrique en poche, le Sénégal ira au Qatar avec des arguments à faire valoir. Occasion saisie par Intelligences pour rencontrer le directeur de l’institut EDGE. Entretien.

Bonjour Pr Sakho, merci de nous accorder cet entretien. Cela fait quelque temps que vous n’êtes pas intervenus dans les colonnes d’intelligences. Comment avez-vous vécu le premier sacre du Sénégal à la Coupe d’Afrique ?

Peut-être comme tous les Sénégalais. Beaucoup de fierté, énormément d’émotions. Peut-être aussi, parce que je suis un petit peu proche de l’encadrement technique. De l’humilité parce que j’ai vécu personnellement presque toutes les étapes. Depuis la confection de cette équipe qui date de 2012, lors des jeux olympiques de Londres. La base était déjà là, avec des joueurs comme Sadio Mané, Gana Gueye, Kouyaté et Saliou Ciss. C’est cette base qui était là, avec des joueurs qui ont disparu entre temps, du genre Kara Mbodj, Pape Souaré… Et c’est cette équipe-là qui a joué les JO de Londres qui a gagné la CAN 2021. Je voyais venir avec le travail se faire, je voyais comment on a confectionné cette équipe pour lui donner cet esprit qui manquait beaucoup aux sénégalais :l’esprit de la gagne. On avait de bons joueurs dans le passé, mais le Sénégal n’a jamais rien gagné. Donc c’est pour ça que je dis avec beaucoup d’humilité que je prends cela. Et j’étais très fier et je me disais que j’ai beaucoup de chance d’assister à un sacre du Sénégal parce que ce n’était pas évident.

Le Sénégal va participer à sa troisième coupe du monde, mais cette fois ci en tant que champion d’Afrique, qu’est ce qui serait pour vous un bon parcours ?

Le parcours idéal serait de gagner la coupe. Mais on peut faire un bon parcours en étant réaliste et se dire qu’on est dans un endroit où c’est le niveau mondial. Ce qui veut dire que ce qui se fait de mieux au monde. Nous sommes un petit pays, pas particulièrement un pays de tradition de fabrique de football, mais nous sommes un pays de footballeur. Aujourd’hui ce qu’il faudrait, c’est se dire que notre équipe nationale est dans une position qui est, du point de vue de l’analyse, en partant de chiffres objectifs, on peut dire quel pourrait être un bon parcours pour le Sénégal. D’abord, cela fait quelques années qu’on est les premiers en Afrique, donc on doit au moins être les meilleurs africains à la coupe du monde. Deuxièmement, nous sommes 18e mondial, ce qui veut dire, dans une compétition mondiale, 8e de finale, c’est-à-dire les 16 meilleures équipes. Sauf que dans l’histoire du Sénégal, on est déjà allé en quart de finale. Donc il faudrait casser ce plafond de verre et allé au moins jusqu’en demi-finale. Et de ce point de vue, je pourrai dire que c’est un bon parcours.

Les lions subissent une cascade de blessures, la dernière en date est celle de Mané, pensez-vous que nos objectifs restent toujours tenables ? Êtes-vous inquiets ?

Les blessures, c’est le haut niveau du sport qui l’exige actuellement. Parce qu’on sollicite un peu trop le corps humain. On voudrait que le corps humain aille au-delà de ses capacités. On lui fait faire des choses qu’il ne peut pas faire. C’est pour cela que les organisations internationales se battent contre le dopage. Les jeunes footballeurs, aujourd’hui, sont sollicités partout et par toute sorte de compétition. Le sport business a tué à la limite la santé du sportif. Il est obligé de tenir. Et donc ces blessures-là, ce n’est pas du tout étonnant. Que Sadio Mané soit blessé, ça pose effectivement des problèmes. Parce qu’on le veuille ou non, le Sénégal avec Sadio Mané ce n’est pas le Sénégal sans Sadio Mané. Donc nous sommes inquiets. Mais il faudrait être réaliste. Autant, il est difficile de jouer sans Sadio, autant le Sénégal doit apprendre à jouer sans Sadio Mané.

Le sport, aujourd’hui, est devenu aussi important que le pétrole ou les télécommunications et ça rapporte énormément.

La délégation sénégalaise sera composée de 300 personnes, 14  milliards seront prévus comme budget pour ce mondial, certains trouvent ce montant exorbitant, quel est votre avis ?


C’est relatif. Je crois qu’ils ont fait un budget jusqu’à la finale, donc c’est tout à fait relatif. On peut se dire qu’au Sénégal, un des pays les plus pauvres au monde, 14 milliards de FCFA pour aller jouer ça peut poser problème. Sauf que le football maintenant, c’est plus qu’un jeu. Je me suis amusé à voir les chiffres de ce que peut rapporter une coupe du monde. En fouillant le site de la FIFA, je suis rendu compte qu’elle a prévu un budget de 440 millions de dollars pour cette coupe du monde 2022. Et le vainqueur peut toucher 42 millions de dollars. Si vous êtes finaliste, vous avez 30 millions de dollars. Et pour chaque fédération qui participe, d’ailleurs, je pense que le Sénégal a déjà reçu, 1,5 million de dollars pour les frais de participation. Si vous êtes éliminés en poule, vous avez 9 millions de dollars, si vous allez en huitième vous avez 13 millions, en quart de finale 17 millions, on peut donc se permettre de faire un budget. On n’est pas obligé de le dépasser. Mais c’est normal que les Sénégalais se posent ces questions-là parce qu’on est dans un pays où il y a des gens qui vivent très mal. Alors parler de milliards pour aller jouer, dans la tête de ces personnes-là, ça peut faire compliquer. Mais il faut faire une communication pour faire comprendre aux gens que c’est aussi important. D’ailleurs, c’est ça mon rôle dans l’école à travers la formation que je dispense, pour dire que le sport, aujourd’hui, est devenu aussi important que le pétrole ou les télécommunications et ça rapporte énormément.

Vous abordez les questions de sponsoring dans les modules que vous dispensez au sein de l’Institut Edge. En tant que champion d’Afrique, pensez-vous que le Sénégal a suffisamment exploité ce titre au niveau des contrats de sponsoring ?


Je crois qu’on n’a pas fait tout ce qu’il fallait. On ne pouvait pas le faire parce que la manière dont notre sport est organisé et managé, est un peu ancienne par rapport aux exigences actuelles du sport. Nous fonctionnons toujours avec une fédération. Et la fédération fonctionne avec des gens qui sont élus et ce sont des présidents de club. Et ce n’est pas parce que vous êtes président de club que vous allez être fort en marketing. Ce qu’on demande à la fédération, c’est de créer une administration parallèle dans laquelle on prendra des jeunes qui sont bons en marketing par exemple, et on leur dit d’essayer de faire en sorte que ce soit rentable. 

Quand vous allez voir les différentes fédérations dans le monde, il y a d’abord les élus, qui sont dans les conseils, la présidence, mais quand vous allez au fond, vous vous rendrez compte que c’est une véritable administration et c’est de véritables têtes qui sont là-dedans. Donc, sur le sponsoring, je crois qu’on a presque eu tout faux. On a une étoile sur notre maillot et on a aussi le 2e meilleur joueur du monde, par le biais du ballon d’or ; je pense qu’il manque quelque chose et peut-être qu’après la Coupe du monde, ils feront ce qu’il faut pour que l’on puisse avoir une administration qui va gérer le football comme il le faut.

Les nouveaux maillots de l’équipe nationale sont vendus à 45000 FCFA, beaucoup de sénégalais trouvent cela cher, votre avis là-dessus ?


Oui, c’est exorbitant pour le commun des Sénégalais. Mais on a un contrat avec un équipementier, qu’est que l’équipementier met dans ce maillot-là ? quels sont les intrants ? Qu’est-ce qui entre dans la fabrication de ce maillot ? Tout le monde ne sait pas. On voit le rendu et pour nous, c’est trop cher. Mais si on regarde ce qu’il y a à l’intérieur, on verra que les équipementiers ne vont jamais faire un maillot qui va se déchirer du premier coup. Donc ils feront de la qualité et peut-être, c’est cette qualité qui répond à ce prix là. Ce que l’on peut demander à la fédération, c’est qu’ils auraient dû peut-être négocier, et je ne suis même pas sûr qu’ils n’ont pas négocié pour baisser leur marge. Je ne suis pas sûr que sorti, ce maillot-là, vaut 45000 FCFA, car les maillots originaux coûtent plus chers. Il faudrait donc chercher à savoir si la fédération gagne avec ce prix. Mais une chose est certaine, c’est que les Sénégalais devraient avoir leurs maillots et comme nous vivons dans un pays avec des mondes parallèles, je pense qu’il y a des gens qui se sont organisés pour avoir des maillots à 10000 ou 15000 FCFA, et on ne peut pas le leur interdire. C’est le Sénégal qui est comme ça.

Commentaires

Cliquez ici pour publier un commentaire

error: Content is protected !!