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Tunisie : Kaïs Saïed, le maître du jeu politique ou le bâtisseur d’un État fort

Le président tunisien et son ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, le 3 avril 2023

Le 17 avril, les autorités tunisiennes ont arrêté le chef du mouvement islamo-conservateur Ennahdha, un des principaux opposants au président Kaïs Saïed. Rached Ghannouchi, 81 ans, qui dirigeait le Parlement dissout en juillet 2021 par le président tunisien, est l’opposant le plus en vue à être appréhendé depuis ce coup de force.

Le jour de son arrestation, a lieu la nuit du destin, la 27e, et la plus sacrée, du mois de ramadan. Une nuit à forte charge symbolique, donc, durant laquelle recueillement et bienveillance prédominent dans le monde musulman. Hasard ou pas, cette arrestation est perçue dans l’opinion tunisienne comme une réaffirmation de la position messianique du chef de l’état tunisien et la soumission des forces de sécurité et défenses acquises à sa cause.  

Face à Rached Ghannouchi et aux islamistes, le président bénéficie du soutien d’une majorité de l’opinion. C’est d’ailleurs la promesse tacite d’en finir avec Ennahdha et Ghannouchi qui avait fait adhérer une large majorité de la population au passage en force du 25 juillet 2021, par lequel Kaïs Saïed s’est arrogé tous les pouvoirs. Depuis rien n’a pourtant été vraiment accompli en la matière. Au contraire, les islamistes ne se laissent pas faire, tandis que les juges peinent à retenir de vraies charges contre eux. Plusieurs chefs du mouvement islamistes, dont Ali Larayedh et Noureddine Bhiri, sont toutefois en prison pour des affaires en cours d’instruction. Notamment le dossier Instalingo qui touche à la sûreté de l’État.

Juridiquement, Rached Ghannouchi est interrogé pour des propos qui tombent sous le coup du très controversé et liberticide décret-loi 54. Déjà condamné à mort par le passé, le chef d’Ennahdha se trouve de fait dans la peau d’un prisonnier d’opinion, puisque de toutes les affaires diligentées contre lui cette dernière est la seule pour laquelle il a été emprisonné. Et ce, en contradiction avec la loi tunisienne, qui prévoit qu’une personne de plus de 75 ans ne peut être détenue.

Selon le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Rached Ghannouchi est entendu pour des propos publics tenus le 15 avril. Il avait alors asséné : « Il est inconcevable d’imaginer la société tunisienne sans Ennahdha, sans islam politique et sans gauche… » et « toute tentative d’éliminer une des composantes politiques ne peut mener qu’à la guerre civile ». Pour les autorités c’est une atteinte à la sureté de l’État et un appel à la mutinerie. Des accusations fortes, qui tombent sous le coup de différents décrets adoptés depuis un an. Dans la foulée, Ennahdha a d’ailleurs été interdit de réunion ou de manifestation publique, et son siège a été fermé ainsi que celui du parti d’Al-Irada de l’ancien président Moncef Marzouki.

Avec tout le pouvoir que détient Kaïs Saïed actuellement, il est fort possible d’imaginer qu’il est l’heure de porter l’estocade aux partis islamistes en Tunisie comme se fut le cas en Egypte en 2013. Le président Abdel Fattah al-Sissi avait alors lancé un vaste coup de filet contre le siège des Frères musulmans, au Caire. L’organisation islamiste ne s’en est jamais relevée.

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