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Amy Sarr Fall: “Le Sénégal transcende nos personnes et nous survivra”

Alpha Yoro Tounkara avait tout juste 22 ans. Il était inscrit en deuxième année de licence en géographie à l’université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis. Selon des sources médicales et judiciaires, il aurait été atteint par balle durant la journée du 9 février. Selon Carim Camara, un de ses tuteurs, qui était intervenu sur la TFM, il était brillant et exemplaire dans sa foi. La famille serait toujours en attente du corps de leur fils.

Modou Gueye avait 18 ans. Il était commerçant et habitait Guinaw Rail Sud. Il aurait été abattu d’une balle dans l’abdomen, tirée à Colobane. Selon son frère, il était sur les lieux pour écouler son stock de maillots et de drapeaux du Sénégal, achetés à l’occasion de la CAN. Selon les témoignages de ses proches, il était déboussolé à la suite de l’élimination du Sénégal car il se demandait comment il allait écouler sa marchandise. Il a rejoint ses parents dans l’au-delà.

Landing Camara surnommé Diedhiou avait 16 ans. Il fréquentait le lycée Djignabo et a été éliminé par une balle qui aurait atteint sa tête, d’après les informations fournies. Le jeune lycéen habitait dans le quartier de ‘Grand Dakar’ à Ziguinchor.

Si seulement écrire pouvait arrêter le temps et ramener aux familles éplorées leurs enfants…Écrire parait si simple, mais peut être un véritable tourment lorsque l’on est meurtri et que l’on ressent de l’impuissance. Et meurtrie, je le suis.

Qu’il me soit permis de m’incliner devant leurs mémoires et de prier pour le repos de leurs âmes. Puisse le bon Dieu dans sa bienveillance et sa miséricorde, leur ouvrir les portes du paradis.

En pleine cérémonie le dimanche dernier, alors que nous écoutions l’hymne de la promotion sortante de médecine de l’UCAD, je ne pouvais plus retenir mon émotion. Je repensais à ces étudiants décédés depuis 2021 lors d’affrontements qui ne pourront jamais mettre la main sur leurs diplômes. J’ai pensé à leurs parents qui ont vu plus de 20 ans de sacrifices s’évaporer, sans crier gare. Nous avons un si beau pays, une jeunesse tellement brave. Pourquoi les lâcher dans un tel tourbillon d’incertitudes ? Des étudiants sortis se battre et dont les familles se retrouvent aujourd’hui seules, face à leurs deuils. Rares sont ceux qui feront le déplacement à la maison mortuaire, leur présenter les condoléances. Rares sont ceux qui veilleront sur elles, qui s’enquerront de leur situation.

Ceux qui ont ôté l’âme de ces étudiants, doivent savoir que Dieu les a vu tirer sur ces pauvres êtres qui ne méritaient pas la mort. Les pleurs de leurs familles les hanteront. Dieu ne cautionne jamais l’injustice. Qui a pris ces jeunes sénégalais qui n’étaient pas armés pour cible ? Ces étudiants pris par la fougue de la jeunesse, épris d’amour pour leur pays, fallait-il s’en défaire aussi vite ?

A ce jour, les commissions d’enquêtes annoncées n’ont pas encore donné de suite. Une pensée pieuse pour la famille de l’étudiant Fallou Sène. Une pensée également pour Absa Hann, journaliste à Seneweb, qui a révélé dans un tweet le terrible épisode qu’elle a vécu lors de son arrestation, alors qu’elle ne faisait qu’exercer son travail.

Dans les zones les plus reculées du Sénégal, vous verrez toujours des jeunes fermer les yeux sur leurs conditions de vie précaires pour se surpasser afin de servir demain leur nation. Notre pays a toujours été notre plus grande source de fierté et de motivation. Notre devise, notre boussole. Nous avons grandi en nourrissant ce sentiment élevé de la dignité, de l’honneur.

Évidemment que je m’insurge contre le report des élections. Évidemment je m’inquiète, car ne voulant pas voir notre navire vaciller. Nous devons organiser des élections le plus vite possible afin que cette situation soit très rapidement derrière nous. Le Sénégal ne mérite pas cela.

Il y a quelques mois encore, plusieurs observateurs envisageaient que le Sénégal puisse représenter l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations Unies. « L’exception sénégalaise « , qui émane de la tradition républicaine et de la résilience de notre brave peuple, a permis cela. Le Peuple tout entier, la jeunesse sénégalaise en particulier, est angoissée à l’idée de voir le Sénégal descendre de son piédestal. Nous avons l’impérieux devoir de transmettre aux générations futures la même stabilité et les mêmes valeurs qui nous ont permis, pendant plusieurs décennies, de jouer un rôle majeur sur la scène mondiale, malgré la modeste taille de notre pays en termes de superficie, de population, de poids économique dans le monde.

Par cette tribune, j’implore à nouveau le Président de la République afin que l’État de droit prévale et que des mesures idoines soient prises pour apaiser l’espace public. Au rang des priorités, il urge de rétablir les enseignements dans nos universités et d’orienter les milliers de bacheliers qui sont encore dans l’attente. Nous prions également le Chef de l’État de voir la situation des jeunes en détention préventive, arrêtés lors des manifestations. Ces demandes me tiennent particulièrement à cœur. La prison peut détruire. Certaines erreurs ne méritent pas de mettre fin à l’élan d’une vie.

Le Sénégal transcende nos personnes et nous survivra.
Le monde nous observe. La peine est profonde.
Puisse l’Omniprésent éclairer les esprits et nous aider à rétablir la paix.

1 Commentaire

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  • Ohhhh Amy Sarr Fall quelle grande narratrice dans la lucidité et la la sincérité merci de nous avoir fait le recit des événements passés.Puisse Allah les envelopper dans son immense clémence.

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